Agacés? Agissez! Les éléphants dans l’air du temps

It is my pleasure to introduce another blogger to the Artengine team. Mireille Bourgeois is the Programmer at SAW Video, and she brings a rich and diverse curatorial perspective to the blog. Enjoy! -AD


(English translation available upon request. Email mirebour@yahoo.ca)

Deux  semaines passé, j’ai participé au Images Festival et au International Experimental Media Congress 2010, à Toronto. Les projections du Festival et leur programmation à l’extérieur du cinéma étaient réparties partout dans la ville offrant un bel équilibre entre les expositions moins complexes et celles plus provocatrices, et le Congrès était dynamique et engageant (parmi les participants ou présentateurs, des artistes chevronnés étaient présents tels qu’Yvonne Rainer, Michael Snow, Tom Sherman et Vera Frenkel). J’ai immensément aimé les deux événements, avec leurs horaires combinant des tables rondes durant la journée, et des présentations du mouvement de l’image pendant la soirée. Tout ceci était très inspirant, avec de nouvelles idées qui flottaient autour de moi.

J’étais heureuse de voir le Congrès débuter par des tables rondes au sujet avant-gardiste comme L’état du médium avec les présentateurs Nicky Hamlyn (cinéaste, professeur à l’Université des Arts Créatifs, UK), Pip Chodorov (cinéaste, Re: Voir Vidéo, France), Nicole Gingras (écrivaine/ commissaire, Montréal), Michael Snow (cinéaste/artiste d’art visuel, Toronto), et Ming-Yuen S. Ma (commissaire/activiste de l’art médiatique, professeur associée, Collège Pitzer, USA). Discuter, se lamenter, être nostalgiques en discutant du médium est un sujet de discussion favori parmi les artistes, historiens et commissaires, puisque la technologie menace tous les médiums d’art avec chaque cycle de « nouveauté ». Avec de tels pionniers des arts contemporains discutant ce sujet, je m’attendais à des idées fraîches et novatrices. Leurs idées étaient intéressantes et raisonnables, mais j’ai eu l’impression qu’elles étaient peut-être un peu trop … raisonnables. Les présentateurs ont chacun présenté des modèles très familiers et tempérés au sujet de la préservation des documents de performances historiques très importants, tout d’abord conçus sur film, et ensuite transférés sur format numérique pour les présentations publiques). Ils ont ensuite élaboré le sujet du cycle de vie de la pellicule, et les statistiques quant au niveau d’attention des auditoires envers les installations vidéo en galerie (pourquoi répéter ad nauseum que l’audience passe seulement entre 15 et 20 secondes en face d’une œuvre d’art, comme si cela était une grande nouvelle?), et donc je me suis dit… vraiment? Et ceci de la part des artistes, des historiens, et de vétérans commissaires, même dissidents? Vraiment? Présenter à une salle remplie de professionnels du milieu artistique, ceux et celles qui passent déjà leurs journées à examiner ces sujets? Vraiment? Voici la discussion présentée lors de la première table ronde du Congrès international du média expérimental de 2010? Les problématiques de la projection de la vidéo, des sièges confortables dans les galeries et de la conservation des films expérimentaux? Oui, vraiment.

Après plusieurs motivantes tables rondes, j’étais encore très enthousiaste, malgré la première session qui est restée avec moi jusqu’au moment où j’écris ces mots; l’événement était un grand succès. Plusieurs fois, j’ai entendu des participants répéter les mots « …c’est dans l’air du temps… ». À un certain moment, l’artiste Cheryl l’Hirondelle a fait une très belle remarque pendant la table ronde intitulée Conserver l’histoire pour le future ou elle a mentionné qu’il y avait des « fantômes dans la salle ». Cette phrase a eu une résonnance pendant les journées suivantes. C’était une pensée ravissante, et en même temps perturbante, que les fantômes des générations passées influençaient nos actions, nous surveillant par-dessus nos épaules, et qu’ils nous jugeaient aussi sûrement que nous les ignorions. Soudainement, j’ai eu l’impression que Platon était présent dans la salle depuis notre arrivé. C’est lui, après tous, qui a le premier écrit que « …c’est dans l’air du temps ». Ce qu’il voulait dire c’est que les HOMMES sont dans l’air du temps. Bien sûr il n’y avait que des hommes dans SON air, et heureusement, il y a des femmes et des voix culturelles dans le NÔTRE. Quant à Platon (cité simplement dans le contexte de ce blogue) le concept, à priori, est l’idée qu’il existe un système de connaissances communes, et que nous pouvons tous, à n’importe lequel moment, y emprunter les idées des « hommes » qui flottent dans l’air du temps, même inconsciemment.

De plus en plus, à ce Congrès, je contemplais les multiples paliers de l’art et du discours contemporain, et puis j’ai réalisé qu’il y avait un très grand fantôme dans la salle que nous ignorions tous, et qui s’est soudainement transformé en un éléphant. À mi-Congrès du média expérimental, nous étions très loin de reconnaître la présence du média expérimental! Seuls étaient mentionnés le film et la vidéo (même si le contenu est expérimental, cela n’implique pas une expérimentation du médium). Même dans le contexte de sujets pertinents tels que la qualité éphémère du média, le médium de film, par exemple, est encore présenté comme étant le médium le PLUS tangible (alors que l’art numérique ne l’est pas???). Je ne conteste certainement pas la participation d’activistes du film et de présentateurs de projections vidéo, mais il me semble que de ne pas mentionner l’un des médiums les plus répandus et pertinents, les nouveaux médias (c.-à-d. tout art numérique non représenté par le film ou la vidéo), est une exclusion étonnante dans le cadre d’une discussion sur l’état du médium expérimental. Les nouveaux médias n’ont pas été discutés lors de la première table ronde. Il aurait été pertinent de déconstruire un système qui semble trop complexe. Pour être juste, je dois mentionner qu’il y a eu une session sur les nouveaux médias, mais les présentateurs ont discuté des modèles de projets de nouveaux médias tellement excessifs qu’ils ne paraissaient pas vraiment possibles à réaliser pour une organisation sans but lucratif canadienne, ou même dans les plus grandes institutions croulant sous le poids de lourdes bureaucraties. En résumé, les nouveaux médias n’ont pas paru comme un médium attirant. En fait, il me semble que les nouveaux médias n’étaient pas envisagés comme un médium du tout. Lorsque cette remarque a été faite, les présentateurs ont semblé fondre dans leurs sièges, et certains on dit qu’ils ne pouvaient parler d’un sujet si vaste et complexe dans le contexte de cette table ronde!

J’ai respecté leurs explications, mais je suis restée sur ma faim. Il est incompréhensible que l’art numérique ne soit pas encore accepté comme un médium tangible. Si je dois entendre les protestations nostalgiques quant à la perte des SEULS médiums matériels, alors on devrait tolérer que j’exprime mon indignation lorsque je dis… « Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas? ». Il est ridicule de penser que l’art numérique ne fait pas face à un problème similaire en terme de pratiques d’archivage, de pertes et de l’éthique de l’histoire et de l’évolution fugace d’un médium qui ne peut être séparé de la technologie à partir de laquelle il a été créé, tout comme les médiums du film ou de la vidéo. Pour s’en convaincre, il suffit simplement de parler avec plusieurs responsables de galeries d’art, qui tentent péniblement de trouver une solution pour conserver des fichiers numériques précieux qui se trouvent sur des disques durs, et qui ne pourront être sauvés que si le logiciel avec lequel ils ont été conçus a également été conservé. Ceci n’est qu’UN seul exemple…

C’eût été l’occasion de déclencher une bonne discussion au sujet de la présentation et de l’installation, dans le cadre de la définition du « medium ». Les artistes qui travaillent avec une technologie sophistiquée ne considèrent pas toujours le logiciel comme étant leur médium et ont plutôt tendance à parler du contexte ou de la façon dont ils habitent l’espace avec leurs matériaux (que le projet prenne la forme d’une exposition, d’une performance ou d’une œuvre Web), comme le véritable médium. Ces « lieux » très difficiles à définir, doivent donc être considérés comme les nouveaux « médiums », pour que nous puissions entamer la complexe discussion portant sur les défis actuels que pose la place du médium.

Il fut un temps alors que le film et la vidéo posaient des grands défis dans la présentation et la préservation de l’art (ah! attend… cela existe encore!) Pourquoi répéter les mêmes erreurs avec les nouveaux médias? Il est trop facile d’écarter les nouveaux médias de nos discussions sur des thèmes qui réfèrent aux arts médiatiques au Canada, en expliquant qu’il faille les définir avant de les discuter (cela nous rappelle peut-être des tactiques de procrastination au sujet du réchauffement climatique?) tandis qu’aucun théoricien contemporain des nouveaux médias n’a eu la chance de présenter ses recherches en profondeur sur le sujet lors de cette table ronde. (Notez que j’ai précisé « recherches en profondeur» et non une simple présentation d’expositions d’arts médiatiques utilisant une technique spécifique.)

Je lis présentement un livre rédigé par Sarah Cook et Beryl Graham et intitulé Rethinking Curating: Art After New Media. Je dois avouer que j’ai une très grande admiration pour l’approche bien articulée des auteures qui départagent bien l’art médiatique des nouveaux médias, tout ceci dans le contexte fluide dans lequel ces pratiques artistiques se retrouvent en ce moment. Je fais la promotion de ce livre partout où je vais, et je ne peux m’arrêter d’y penser. Voici la raison expliquant ce blogue « passionné » et peut-être pas très articulé, écrit rapidement en mangeant le petit-déjeuner dans un café à Toronto, pendant la dernière journée du Congrès.

Dans ce nouveau livre, les auteurs ont écrit « … les formes des nouveaux médias ont souffert par le passé parce qu’elles ont été examinées par le truchement de métaphores que partiellement pertinentes. Comme dans le récit folklorique dans lequel plusieurs personnes, se retrouvant dans une salle sombre et, touchant un éléphant, identifient différemment cette texture comme provenant d’un serpent, d’un tronc d’arbre, ou même d’ailes, les métaphores utilisées pour illustrer les nouveaux médias sont souvent déterminées par le contexte historique et culturel d’où elles proviennent… » L’éléphant est possiblement trop gros pour être observé en son entier, mais il faut au moins oser y toucher, explorer, débattre et échanger nos idées quant aux tendances et aux idées reçues (ce qui constitue le chemin menant vers la connaissance, n’est-ce pas?), du moins en partie, même si cela prendra vraisemblablement plusieurs essais. Sinon, nous sommes condamnés à l’isolement, debout dans le noir, partageant l’espace avec un éléphant. Ainsi… il y aura des éléphants dans l’air du temps.

Mireille Bourgeois

Acheter le livre!
Beryl Graham et Sarah Cook, Rethinking Curating: Art After New Media, préface de Steve Dietz, MIT Press, mars 2010.

Informez-vous!

International Experimental Media Congress 2010

Images Festival

Sarah Cook à SAW Vidéo – le 29 avril 2010: http://sawvideo.com/events/2010/04/sarah-cook.php

Librairie du MIT: http://mitpress.mit.edu/catalog/item/default.asp?ttype=2&tid=12071

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